Élection présidentielle en Tunisie : Kaïs Saïed réélu sans surprise dans un scrutin contesté


Le président sortant tunisien Kaïs Saïed a été réélu pour un second mandat lors d'une élection présidentielle qui s'est tenue le dimanche 6 octobre 2024. Ce scrutin, largement critiqué par l'opposition et les observateurs internationaux, s'est déroulé dans un contexte de tensions politiques et de recul démocratique dans le pays.



 Une victoire écrasante mais contestée

Selon un sondage de sortie des urnes diffusé par la télévision nationale tunisienne en début de soirée, Kaïs Saïed aurait remporté une écrasante victoire avec 89,2% des voix. Ses deux adversaires, Zouhair Maghzaoui et Ayachi Zammel, n'auraient obtenu respectivement que 6,9% et 3,9% des suffrages.

Ces résultats préliminaires ont immédiatement été remis en question par les candidats d'opposition. Ayachi Zammel, actuellement emprisonné suite à une condamnation pour "falsification de parrainages", a dénoncé sur sa page Facebook la publication de sondages "en violation des textes de la loi, afin d'orienter l'opinion publique". De son côté, Zouhair Maghzaoui a appelé "les forces sécuritaires à protéger le processus" électoral, qualifiant les premiers scores annoncés d'"erronés".


 Une participation en hausse mais toujours faible

L'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a annoncé un taux de participation final de 27,7%, soit environ 2,7 millions d'électeurs. Bien que ce chiffre soit en nette augmentation par rapport aux dernières élections législatives de 2022 (11,3%), il reste bien en deçà du taux de participation enregistré lors du premier tour de la présidentielle de 2019 (49%).

Cette faible mobilisation, particulièrement marquée chez les jeunes qui ne représentent que 6% des votants selon l'ISIE, témoigne d'un certain désenchantement de la population tunisienne face à la situation politique du pays.


  Un processus électoral critiqué

L'organisation et le déroulement de cette élection présidentielle ont fait l'objet de nombreuses critiques, tant au niveau national qu'international. Plusieurs éléments ont contribué à jeter le doute sur la légitimité et la transparence du scrutin :

1. L'exclusion de candidats : Trois candidats initialement exclus par l'ISIE ont été réintégrés par décision du tribunal administratif. Cependant, l'instance électorale a ignoré cette décision de justice, soulevant des questions sur son indépendance.

2. Modification de la loi électorale : Le 27 septembre, soit quelques jours avant le scrutin, le Parlement a amendé la loi électorale, retirant au tribunal administratif la compétence de trancher les contentieux électoraux au profit de la cour d'appel de Tunis.

3. Absence d'observateurs internationaux : Pour la première fois depuis 2011, les observateurs de l'Union européenne n'ont pas été autorisés à suivre le déroulement du vote. Seuls des représentants de la commission électorale russe, de l'Organisation de coopération islamique et de quelques organisations accréditées par les autorités étaient présents.

4. Refus d'accréditation d'associations locales : Deux des principales associations tunisiennes d'observation des élections, I Watch et Mourakiboun, se sont vu refuser l'accréditation par l'ISIE, sous prétexte de "financements étrangers suspects".

5. Irrégularités signalées : L'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections, l'une des rares organisations accréditées, a déclaré avoir "enregistré un certain nombre d'irrégularités et de malversations de divers degrés", notamment des tentatives d'influence des électeurs.


  Un contexte politique tendu

Cette élection présidentielle s'inscrit dans un contexte de recul démocratique en Tunisie depuis le "coup de force" de Kaïs Saïed en juillet 2021. Depuis cette date, le président a progressivement démantelé certaines des structures démocratiques mises en place après la révolution de 2011 :

- Modification de la structure du Conseil supérieur de la magistrature, qui chapeaute le pouvoir judiciaire.

- Réforme de l'instance électorale, dont il nomme désormais directement certains membres.

- Centralisation accrue du pouvoir entre ses mains.

Ces changements ont suscité l'inquiétude de nombreux observateurs quant à l'avenir de la démocratie tunisienne, considérée jusqu'alors comme l'un des rares acquis du Printemps arabe.


  Réactions mitigées de la population

La journée électorale s'est déroulée dans le calme, avec une affluence modérée dans les bureaux de vote. Les partisans de Kaïs Saïed, principalement des électeurs plus âgés, ont exprimé leur soutien au président sortant, voyant en lui un espoir de changement et de stabilité.

"Il essaye de changer les choses pour les citoyens. Au moins avec lui, nous avons de l'espoir que les problèmes qui se sont produits dans le pays depuis la révolution trouvent une solution", a déclaré Chourouk Abdallah, une éducatrice spécialisée de 30 ans.

En revanche, les opposants au président, souvent plus jeunes, se sont montrés plus discrets. Certains, comme Seif, un étudiant de 27 ans, sont venus voter pour "ne pas laisser Kaïs Saïed décider pour nous". D'autres ont choisi de s'abstenir, considérant le processus électoral comme "illégitime".


  Perspectives et défis pour l'avenir

La réélection de Kaïs Saïed soulève de nombreuses questions quant à l'avenir politique et économique de la Tunisie. Le président devra faire face à plusieurs défis majeurs :

1. Restaurer la confiance dans les institutions démocratiques et apaiser les tensions politiques.

2. Redresser l'économie tunisienne, fortement impactée par la crise sanitaire et l'instabilité politique.

3. Répondre aux attentes de la population, en particulier des jeunes, en matière d'emploi et de développement économique.

4. Maintenir l'équilibre entre les différentes forces politiques et sociales du pays.


La communauté internationale, en particulier l'Union européenne et les États-Unis, suivra de près l'évolution de la situation en Tunisie, pays considéré comme un partenaire stratégique dans la région méditerranéenne.

En conclusion, la réélection de Kaïs Saïed dans des conditions contestées marque une nouvelle étape dans l'histoire politique récente de la Tunisie. L'avenir dira si le président parviendra à rassembler le pays et à répondre aux aspirations démocratiques et économiques de la population tunisienne.

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